|
|
|
François
Coppée commença employé de bureau au
ministère de guerre et finit académicien,
antidreyfusard et revanchard, et Président d'honneur de la Ligue
de la Patrie Française. Les contes sociaux ou
sentimentaux en vers qui firent sa gloire nous semblent
aujourd’hui, pour la plupart, terriblement lestés
par les bons sentiments. Son prosaïsme et sa prosodie,
à mille lieux de la langue savante et des recherches
formelles qui faisaient les délices des salons symbolistes,
ont nourri les sarcasmes d’une
génération de poètes :
Et chantons notre
gamme en notes bien égales,
À l'instar de Monsieur Coppée et des cigales.
(Paul Verlaine)
Pourtant, paradoxalement, ce refus
de la « grande poésie », ce
goût pour le quotidien, le rapprochent de notre
sensibilité et dans cette manière,
spécialement dans les « dizains », son
mètre de prédilection (il faut lire ses "Promenades
et Intérieurs"), il approche parfois une sorte de
perfection. Coppée est et restera le flâneur de
Paris et de ses banlieues. Sa réussite, lorsqu’il
domine son penchant aux leçons de morale, est dans le regard
aigu et bienveillant qu’il porte sur ceux qu’il
rencontre au hasard des rues, les plus humbles gens surtout, ouvriers,
jeunes filles, soldats, qu’il restitue en des
scènes populaires qui rappellent celles que les
impressionnistes peignaient alors dans les mêmes lieux.
Un large Panorama
de la poésie de François Coppée est
téléchargeable (en pdf).
|
|
*
À Paris, en
été, les soirs sont étouffants.
Et moi, noir promeneur qu'évitent les enfants,
Qui fuis la joie et fais, en flânant, bien des lieues,
Je m'en vais, ces jours-là, vers les tristes banlieues.
Je prends quelque ruelle où pousse le gazon
Et dont un mur tournant est le seul horizon.
Je me plais dans ces lieux déserts où le pied
sonne,
Où je suis presque sûr de ne croiser personne.
Au-dessus des enclos les tilleuls sentent bon ;
Et sur le plâtre frais sont écrits au charbon
Les noms entrelacés de Victoire et d'Eugène,
Populaire et naïf monument, que ne gêne
Pas du tout le croquis odieux qu'à côté
A tracé gauchement, d'un fusain effronté,
En passant après eux, la débauche
impubère.
Et, quand s'allume au loin le premier réverbère,
Je gagne la grand' rue, où je puis encor voir
Des boutiquiers prenant le frais sur le trottoir,
Tandis que, pour montrer un peu ses formes grasses,
Avec son prétendu leur fille joue aux grâces.
(Intimités)
|
*
C'est vrai, j'aime Paris d'une
amitié malsaine ;
J'ai partout le regret des vieux bords de la Seine :
Devant la vaste mer, devant les pics neigeux,
Je rêve d'un faubourg plein d'enfance et de jeux ;
D'un coteau tout pelé d'où ma Muse s'applique
À noter les tons fins d'un ciel mélancolique ;
D'un bout de Bièvre, avec quelques champs
oubliés,
Où l'on tend une corde aux troncs des peupliers,
Pour y faire sécher la toile et la flanelle ;
Ou d'un coin pour pêcher dans l'île de Grenelle.
(Promenades et Intérieurs)
|
*
N'est-ce pas ? ce serait un
bonheur peu vulgaire
D'être, non pas curé, mais seulement vicaire
Dans un vieil évêché de province,
très loin,
Et d'avoir tout au fond de la nef, dans un coin,
Un confessionnal recherché des dévotes.
On recevrait des fruits glacés et des compotes ;
On serait latiniste et gourmand achevé ;
Et, par la rue où l'herbe encadre le pavé,
On viendrait tous les jours, une heure, à Notre-Dame,
Faire un somme, bercé d'un murmure de femme.
(Promenades et Intérieurs)
|
*
La marchande de
journaux
« Demandez les
journaux du soir… la Liberté…
La France… »
À cet appel, sans cesse
répété
Par la vieille marchande à la voix âpre et claire,
Je faisais halte au coin du faubourg populaire
Dont les vitres flambaient dans le soleil couchant,
Et prenais un journal pour le lire en marchant.
Ce n’est pas que je sois ardent en politique :
Les révolutions rendent un peu sceptique ;
Mais, par vieille habitude et besoin machinal,
Je parcours volontiers, tous les soirs, un journal,
Pour savoir si l’on va changer ou non de maître,
Comme avant de sortir on voit le baromètre.
– « Demandez les journaux… le Temps…
le Moniteur… »
Et, prenant le paquet tout frais, que le porteur
Lui jetait, en courant, dans sa pauvre boutique,
La bonne femme, active à servir la pratique,
Derrière un vasistas ouvert sur le trottoir
Se démenait, cherchait des sous dans son tiroir,
Et vendait, d’une humeur absolument égale,
Papier conservateur ou feuille radicale ;
– Et, lorsque je prenais un journal, au hasard :
– « Ah ! vous voilà, monsieur ! Vous
arrivez bien tard ; –
Disait-elle gaiement. – Voyez ! ma vente est faite.
Je n’ai plus qu’un Pays et que
deux Estafette…
Et c’est toujours ainsi, lorsque les
députés,
Comme ils ont fait hier, se sont bien disputés,
Et quand on dit qu’on va changer le ministère.
»
Quelquefois, je causais, auprès de
l’éventaire,
Avec la brave vieille aux yeux intelligents ;
Car mon goût est très vif pour les petites gens.
Et, tout en déployant la Presse ou la Patrie,
Qui m’envoyait sa bonne odeur d’imprimerie,
J’avais pour mes trois sous un instant d’entretien.
– « Mon Dieu ! pour le moment, ça ne va
pas trop bien.
C’est la morte saison, vous savez… et la Chambre
Ne se réunira que vers la mi-novembre.
Les grands formats sont nuls, et les petits journaux
N’ont que les faits divers et que les tribunaux…
Vous autres, les messieurs, vous chassez ou vous êtes
Aux bains de mers, aux eaux… Sans le sou des grisettes,
Qui ne voudraient pour rien manquer le feuilleton
De leur Petit Journal, à peine vivrait-on…
Pour écouler ce tas de papiers qu’on imprime,
C’est triste à dire, mais il faudrait un gros
crime…
Je ne désire pas qu’il arrive, grand Dieu !
Mais, du temps du procès Billoir, quel coup de feu !
Quand on a publié toutes ces infamies,
Monsieur, j’étais au bout de mes
économies ;
Mais, en un mois, et rien qu’avec les illustrés,
Eh bien ! j’ai pu payer deux termes
arriérés…
Mais ce n’est qu’un hasard… tandis que
les tapages
À Versailles, voilà le temps des forts tirages !
Ça ne peut pas manquer et ça revient vingt
fois…
Aussi, lorsque je fais un billet pour mon bois,
Pendant la session j’en fixe
l’échéance,
Et je m’acquitte après une bonne
séance. »
Je m’éloignais, trouvant singulier le destin
Qui voulait que ce fût le crime du matin
Ou le tumulte fait dans les Chambres, la veille,
Qui donnât quelque aisance à cette pauvre vieille.
Je trouvais un plaisir ironique à savoir
Que l’antique combat du peuple et du pouvoir
Et tout leur vain travail pour mettre en équilibre
Le besoin d’être fort et l’ardeur
d’être libre,
Le prétoire vibrant à la voix des tribuns,
L’assemblée en démence et les cris
importuns
Qu’on poussera toujours autour du Capitole,
Et tout ce que produit, aux jours de rage folle,
Le parlementarisme et son jeu régulier,
Aidâssent cette femme à payer son loyer.
Il me plaisait assez que le bruit de la Presse
Assurât par hasard le pain d’une pauvresse,
Et que tout ce scandale eût ce bon résultat
Qu’elle pût vivre, à bord du vaisseau de
l’État
Durement ballotté sur la mer politique,
Ainsi qu’une souris dans un transatlantique.
(...)
(Contes
en vers)
|
Bibliographie
|
Poésie
- Le reliquaire (1866)
- Intimités (1867)
- Poèmes divers (1869)
- Poèmes modernes (1869)
- Les humbles (1872)
- Promenades et intérieurs (1872)
- Le cahier rouge (1874)
- Olivier (1876)
- Les mois (1876)
- L’exilée (1877)
- Jeunes filles (1878)
- Récits épiques (1878)
- Contes en vers (1880)
- Poésies diverses (1880)
- Arrière-saison (1887)
- Les paroles sincères (1891)
- Dans la prière et dans la lutte (1901)
- Des vers français (1906)
- Sonnets intimes et poèmes
inédits (posthume, 1927)
François
Coppée est aussi l'auteur de nombreuses pièces de
théâtre (Le Passant, Severo
Torelli, Les Jacobites, etc.) et de
romans, contes et nouvelles (Contes rapides, Henriette, Contes
tout simples, etc.).
|
Haut de page
|