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« Pourquoi
Coppée ? me dit un ami, c’est un mauvais
poète. Et pourquoi t’y coller toi ?
» Il
s’étonne, il me somme de m’expliquer sur
cette anthologie. Oui,
pourquoi, quand tout
m’éloigne de l’esthétique et
des partis-pris idéologiques de Coppée ?
S’il faut vraiment s’expliquer, mieux que je
n’ai pu le faire dans la préface, voici.
Redonner à lire Coppée ne relève ni de
la célébration, ni de la provocation, ni (qui
pourrait le croire ?) du manifeste. La raison principale,
comme
l’indique la préface, en est dans le
portrait
qu’il trace de la vie quotidienne de son temps, dont il
était un observateur attentif, s’attachant aux
paysages de Paris et de sa banlieue, qu’il arpenta toute sa
vie, et reflétant dans ses poèmes une
réalité sociale souvent extrêmement
dure. Cette démarche narrative, d’essence
populiste (son recueil le plus célèbre
s’appelle d’ailleurs Les humbles),
trouve sa forme
la plus juste dans le dizain, où il restitue en de rapides
croquis, avec humour et compassion, la société
urbaine et la vie du peuple parisien dans la dernière partie
du siècle. Sa poésie a
d’évidents défauts, mais il y a
là quelques vraies réussites, et l’on
pense souvent aux scènes que les impressionnistes peignaient
à la même époque :
Et l’on
s’en va dîner dans une humble gargote
Où sur le mur est peint – vous savez ?
à Clamart, –
Un lapin mort, avec trois billes de billard.
Je n’y reviens pas. Du reste je
n’ai rien
caché, je l’ai montré dans sa
vérité : mais jusque dans ses travers, ses
aspirations étroites, sa morale parfois ambigüe, ou
son activisme nationaliste des dernières années,
ses vers rendent compte de son époque et c’est
bien le lien qu’ils nouent ainsi avec une
société déjà
très lointaine qui en rend, aujourd’hui encore, la
lecture intéressante.
Certes, Coppée n’est pas un poète
majeur : le contraire se saurait déjà, sans
doute. Il
connut pourtant un succès continu, en poésie et
au théâtre, et finit académicien. Son
statut fut tel qu’on le mit à la tête de
la Ligue de la Patrie Française, créée
pour s’opposer à la Ligue des Droits de
l’Homme lors de l’affaire Dreyfus. Il
représente, en quelque sorte, la poésie
officielle de la IIIe République
naissante. Mais, de
même que de nos jours on expose à nouveau les
peintres académiques (ceux que l’on disait
pompiers),
qui permettent de mieux comprendre les enjeux
esthétiques et les luttes de pouvoir à
l’époque où naissait et se
développait l’impressionnisme, et à sa
suite toute la peinture moderne, il n’est pas inutile de
relire celui qui tenait le haut du pavé au moment
où la poésie française basculait dans
la modernité, et qui exerça une certaine
influence sur nombre de poètes de son époque. On
a gardé de Coppée l’image
qu’en ont donnée Verlaine, Rimbaud et autres
zutistes
(dont l’anthologie redonne à lire
quelques uns des pastiches, les fameux vieux Coppées),
ou
plus tard les symbolistes, qui voyaient en lui « un vieux
pompier », selon un mot de Coppée
lui-même. Cette image était pourtant beaucoup plus
contrastée qu’on ne l’imagine
aujourd’hui. Il fut même
considéré par certains comme un novateur : en
1891, Anatole France loue Coppée d’avoir
cassé l’alexandrin en mettant la césure
au milieu des mots, et Catulle Mendés, répondant
à une question sur l’impassibilité
parnassienne, s’exclame : « Où la
voit-on cette sécheresse dont on nous affuble ?
(…) Pas chez Coppée, si moderne !
»). C’était
avant qu’il ne
tourne mal. Il n’est pas inintéressant
d’y aller voir.
Dans le même ordre d’idée,
j’aimerais que l’on republie un choix de certains
poètes du XVIIIe siècle,
l’abbé Delille par exemple, ou
Ponce-Denis Écouchard-Lebrun,
c’est-à-dire Lebrun Pindare (le Pindare
français !), dont on ne trouve plus que quelques fragments
dans les anthologies, qui pourtant avaient été
mis par leur siècle au rang des plus grands
poètes du passé, et qui avec des moyens formels
qui ne sont plus les nôtres, en contrepoint aux philosophes
des Lumières, témoignent eux-aussi de leur
époque. On ne les lit plus. Notre vision de la
poésie a été bouleversée
par le romantisme et la modernité, si bien que
l’on peine à retrouver ce qui a fait, aux yeux de
leurs contemporains, la grandeur de ces poètes. Il y a une
sorte de fascination à voir ces retournements de
l’histoire. Ces géants abattus, ne faudrait-il pas
essayer un peu de s’y attacher et de les comprendre ?
À côté de l’indispensable
arpentage des précurseurs et des contemporains
étrangers (et nul doute que ceux-ci soient pour nous un
ferment plus productif
que les anciens, qu’ils sachent mieux
nous engendrer), ne faut-il pas aussi se pencher sur ces disparus ?
Là où la poésie de Coppée
est la plus faible, c’est dans ses longs poèmes
romanesques, qui ont fait l’essentiel de son
succès, où pèsent terriblement les
bons sentiments. Pourtant, ce n’est pas cela
d’abord qu’ont raillé les vieux
Coppées : mais sa prédilection pour
la
réalité quotidienne (un recueil de pastiches fut
d’ailleurs nommé Dixains réalistes)
et,
plus que tout, son prosaïsme. J’ai
rapporté ce trait attribué à Anatole
France qui, lisant sur une couronne mortuaire : « Offert par
les joueurs de boules de Neuilly » se serait
écrié : « Tiens ! Un vers de
Coppée ». Sans doute ce dernier
était-il capable, aussi bien qu’un autre, de
continuer à aligner les vers parnassiens par quoi il avait
commencé. Mais justement. Ce refus du «
poétisme », ce prosaïsme
revendiqué (peut-on vraiment croire qu’il faisait
« de la prose
sans le savoir », selon le mot
rapporté par Jules Renard ?), qui ne va pas ici et
là sans autodérision, cette manière
qui contraste violemment avec la beauté classique,
romantique, symboliste, et qui témoigne à sa
façon, avec ses limites évidentes, de la rupture
qui se produit alors dans la poésie française,
c’est paradoxalement cela qui le rend le plus proche de notre
sensibilité. Et n’en attendons pas plus
qu’il peut nous donner.
Il serait intéressant de suivre cette veine
prosaïque, qui court plus ou moins sourdement dans la suite de
la poésie française, chez Cendrars par exemple
(je ne parle que de forme), disparaissant presque sous les
surréalistes, dont la démarche fut au contraire
d’enchanter la réalité, pour resurgir
plus tard, et qui se maintient, plus forte et poussée
à ses extrêmes conséquences,
jusqu’à aujourd’hui. L’avenir
(j’allais écrire : la rédemption) de la
poésie n’est sans doute pas là. Ce
n’est pas ma démarche, ce n’est pas la
poésie que je défends. Cela n’interdit
pas, au contraire, de s’y retremper à
l’occasion et d’y chercher matière
à réflexion et à confrontation.
Gérard Cartier
- 6 janvier 2011
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