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Le livre (dont on trouve les premi res traces dans Le Hasard, publi en 2004 par Obsidiane) transporte la l gende de Tristan la fin du dernier si cle, au milieu de la crise irlandaise qui secoue alors le Royaume-Uni. Mais seul importe l’amour sauvage et d sesp r unissant les amants, qui ne peut se r soudre que dans la mort : Ils veulent subir
cette passion qui les blesse Le po me
interpr te
librement le r cit,
restituant l’ambig it que les
alt rations du temps donnent aux anciens manuscrits.
Une admirable version
contemporaine du po me de Tristran et Yseut (Yves du
Manno) Une traduction anglaise par Gen ve Chao a t publi e aux ditions Lx Press (Los Angeles, 2016) |
Extraits Critiques |
Extraits |
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1 |
.II.
Ils avaient trop
r v trop hant
La brume des marais Tant de fables tranges
Sit t retir le d luge tant de
sortil ges
Hommes et b tes se m lant et s’engendrant
Des taureaux chevelus des morholts
Puis d barque dans l’est une cohorte noire :
Cromwell gorge sur sa cuisse le bouc
Aux cornes dor es An poc ar buile
Et d plie son patron sur cette le
l g re
D sormais que l’utile gouverne Les passions
Enferm es dans un strict corset et la pierre
D’ loquence bris e D sormais
Le silence et creuser de longues fosses
Le front tourn vers Tara Les st les
s’effondrent
L’ le roule lentement sous les vents
puis e livr e
l’herbe de la faim
De lourdes barques charg es d’enfants
S’enfoncent dans l’ouest sur les traces des moines
Disparus par les mers dans leurs auges de cuir
Ce chagrin si loin que remonte la m moire
Ils ont trop cout les mal dictions
trop
Aim la mort...
.VII.
Sur la table poisseuse un journal
d chir
IRISH INDEPENDENT quatre
feuilles tach es
Une lune de bi re et des cendres Le titre
Est bu par le papier les noms mutil s
Je d chiffre sans tressaillir les mots aventureux
Mort et larmes et de nouveau mort
Mais la v rit ce soir n’est pas mon
orgueil
Et seul l’ cart au milieu des ombres
Je fais malgr moi de ces m chants
clats
Un miel suave Tristan ! la main court
Au revers d’un billet de tombola
Et je r ve enlev par la ale
douce-am re
O s’ prendre nouveau
agenouill
Dans la terre molle et louer les amants
D gageant de la tourbe deux formes nou es
Aux membres disloqu s pris dans les racines
Proies d’un d sir p trifi
qu’un souffle peut- tre
Va ranimer et rendre leur folie les yeux
Dessill s les membres lav s les parties molles
Gonfl es par les humeurs si ges des vertus
Et des passions Si grande joie si grand...
Et un doigt sur leurs plaies prouver
Leur destin e...
.XII.
Il se livre la
providence Tertres et vallons
Le bras nou dans un mouchoir les dents serr es
Titubant entre deux mondes flottants
Bois et landes bigarr es nuages errants
Courant vers la fronti re une trace ind cise
Un soir dans les glens un hameau abandonn
O pour deux cents mes un pr tre avait
fond
Un den communiste Il brise un carreau
Et se glisse dans l' cole Maigre
amphith tre
Aux pupitres huileux sous la poussi re Retrouver
Sa place dans les rangs et revenir soi
Accroupi dans la lumi re basse Des planches
Charg es de bocaux de livres histori s
Au mur la carte du monde o sous le doigt crayeux
De g n rations de ma tres
l’Irlande a disparu
Aspir e dans un profond tourbillon
Comme une autre Atlantide se livrant la mer
Pour chapper la famine et la honte
Puis couch sur un banc au milieu de ce monde
Class par ordres et par r gnes Fuchsias et
foug res
Et des b tes disparues avec l’enfance
Le Blaireau et la p le Hermine la Salamandre
Basculer dans un sommeil na f...
.V.
Elle est genoux proche
et terrible
Engendr e par la fi vre Les cheveux
boucl s
Roussis au purin d’ ne Les l vres
gonfl es
Fr le et laiteuse un bloc de magn sie
Ti de lune dans le soleil naissant Si
l’œil
Pouvait soutenir cette aube sans ciller
La main repousser la main inexorable
Qui arrache la charpie et fouille lentement
Le corps La charit une pointe
Aiguis e au feu Mais qu’importe
Que br le la chair mis rable
Il est une douleur plus poignante le cœur
Qui se d robe et ne tient la vie
Que par cet œil qui verse un feu puissant
Le hasard fait son œuvre Tristran
Se donne en fr missant Dieu y fasse vertu
Rien ne pourra le gu rir Aimer
Ni se refuser Plus rien le d livrer
Fuir ni demeurer Ni se m ler
la tourbe profonde...
.VIII.
Le soleil fend la
poussi re La chambre
S’ouvre comme une crypte Elle est devant lui
Le front s v re les cheveux
ch ti s bras
Et chevilles couvertes et toutes les magies
Obscurcies Je la revois au-del des ann es
Noire nonne chapp e aux si cles de
peste
Pench e sur mon ch lit dans un cilice noir...
Il ferme les yeux l’ ther se r pand le
feu
Fait crier la chair Douleur fid le et ferme
quoi il se livre sans retenue B n diction...
Pour chapper au souffle l ger
Qui le parcourt in anima vili
Cherchant en aveugle dans les linges nou s
Le d faut o p n trer sous
quoi palpite
La masse molle des sentiments Comment
Se d rober
Il crie ce nom que la gorge
Ne sait pas garder un vinaigre un miel
Ys p lit la main suspendue
Les yeux agrandis Quelle mal diction...
Terrass e par cette folie aupr s de quoi
Il n’est pas de sagesse...
.Les fragments.
Le jour est d j
haut et la
lumi re est maigre. dans l’embrasure de la
fen tre
un jardin de buis. une all e crayeuse bute sur un mur. son
esprit s’ vade. il n’aime pas cette
fable cruelle,
un amour sauvage inconnu ici. il compte et num rote
les
lignes. si longue arithm tique avant d’atteindre
cette le on qu’il ne sait formuler. Je
ne sais ce que j’en dis...
Quarante lignes par colonne, deux colonnes par page. semaine
apr s semaine, la compagnie des merles, puis le
gr sil
qui fait tinceler les toits. longue peine
r inventer un sentiment perdu. des noms incertains, des mots
demi oubli s, barr s un
un dans la
nomenclature.
Puis le livre se perd. d vor par les cafards.
moisi par
les orages. d pec pour ses images
la sanguine.
recouvert par l’ pop e d’un
demi-saint de
campagne. emport dans l’incendie d’un
s minaire protestant.
Un jour, dans la reliure d’un cartulaire, on en retrouve un
feuillet coup en deux mi-hauteur. le couteau a
emport tout un bord : au recto, le d but des
vers de la
premi re colonne ; au verso, les rimes de la seconde. une
strophe est cach e dans la reliure. le r cit bute
sur un
vers boiteux. Si grande joie si gran[de]...
De 13 000 vers n’en restent que 3 000, parfois
amput s de
moiti . cinq fragments : l’ le,
l’union, le
verger, et la salle aux images. puis c’est la fin. sur une
vignette, les amants sont assis c te
c te. il
tient sa main, elle penche le front vers lui. ils sont
envelopp s dans le rouge comme dans un brasier.
Nous ajustons des bribes. nous calculons. nous r vons
d’une unit perdue.
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3 |
.V.
On peut imaginer un marais au milieu
des landes
au
pied des terrils un verger abandonn
des pruniers aux fruits sauvages
de minuscules fleurs de neige
je saurais d crire le paradis
pas un toit plus de vingt miles
parfois
franchissant les collines
une
caille ou un faisan
peine
chapp s
au pinceau du naturaliste
le printemps grandit les pr s
les couleurs se r pandent
comme un vin de malvoisie
avec le serein des nuits belles d’ toiles
In orchard
under the hawthorn
she
has her lover till morn...
on peut imaginer
l’eau
luisante et les plan tes fra ches
et les amants
enseign s
l’ cole du Jardin.
.IX.
Moi aussi
d s que mes yeux ont su se fixer
et mes l vres promettre
moi aussi
face
aux montagnes
vides je
l’ai
r v
un livre dans
la
main gauche
revenir au
d but
et retrouver
les
vertus primitives
loge
d'une terre sauvage
et
aujourd’hui encore
clo tr dans cette ville
sombre
une
chambre offerte au nord
exhumant
les
premiers mots
la
nostalgie m'arrache
mes
aust rit s
Mais venant apr s tous
rassembler ce qui n’est plus
qui s’efface dans la poudre
de bribes informes
comment
glorifier
le d sert
une pauvre
l gie
malais e
comme la
montagne du paradis
les
r gles si
l ches
si troubles les
passions
que disant joie
ou innocence
notre
louange
se retourne contre nous
que retrouvant dans un souffle
l’enfance de la langue
aux claires images
nous m lons
l'amertume...
.XVI.
Landes et bois toute la terre
immense
Il n’y avait arpent qui ne f t eux
Enferm s entre trois bornes au fond du Morroi
Trois collines mobiles comme la pens e
Ce qui les unissait l’abandonner pourtant
Et d tourner les yeux Ici est notre fin
Une tour au vent dans un verger d’ pines
Et des mines croulant sous une verge d’herbe
Seul le cri des choucas louangera la lande
La tourbe avalera la st le troite
O ils avaient grav les mots du paradis
Leur amour sera moins qu’une graine ail e
Il regarde au nord dans un sillon un feu
Tourment par le vent Le monde commun
J’irai seul dans l’hiver sans joie sans
d sir
Il n’y a rien au-del de ce d sert
Elle l’implore en vain Leurs adieux
Sont une pierre fendue Elle dit Aime-moi
De loin comme de pr s et ne m’oublie
Jamais Que mon amour se soude toi
Comme cet anneau Qu’il te prot ge
Et jamais ne te laisse de r pit...
.II.
Tristran s’enfuit cherche
la voie du nord
L’aimer et le suivre distance le doigt
Sur une carte chiffonn e Il passe la Tone
Et les Quantock Ivre et triste comme Du Fu
Des cantons ingrats dans l’ombre Au soir
Station dans un bois de houx Des truies
Fouillent le marais Lourdes sœurs p nitentes
Nourries de terre et de chagrin
Puis au-del d’une double cl ture
Un pr chaotique o s’effondrent des
tombes
Et un maigre oratoire abandonn aux pluies
Il se couche Le froid descend Dans un trou
Un oiseau lutte sous la queue du vent
Dernier locataire de ce lieu sans fum e
Sans gr ce sans horizon Comment faisaient-ils
Assis sur une caisse devant un mur fendu
Un rai de couleur silencieuse Comment
La veille et le sommeil Cette abstinence
Peut-elle combler le cœur Folie d’orgueil
Se voir leur suite et pour une illusion
Chasser le monde...
.La s paration.
Ils refusent les plaisirs. ils se
cherchent nuit et jour sans s'atteindre. ils le savent dans leur langue
: Rien quoi s’appuyer... ils
font de l'absence leur lit. Rien ne toucher des
l vres... exercice de la solitude.
Rien ne peut apaiser leur angoisse. ils ferment les yeux pour voir. ils
louent un nom d cevant. leur d sir est cette
limite pure,
cet ordre qui ne peut exister que dans l’absence. Rien
de vous jamais...
L’amour est un vin amer. les p nitents le
confessent. les
voluptueux le savent sans l’avouer. po tes et
savants l'argumentent, et les philosophes de la raison. et le
r p tent les
clercs, qui ne savent rien du vin ni de l’amour.
Et Thomas le bavard avec eux. Ce dont nul bien ne peut venir...
le martelant sans fin de ses huit pieds. Qui ne veut rien que
le tourment... la corde basse est tendue se
rompre. chercher la lumi re en regardant la nuit.
Que deviendrons-nous si nous sont enlev es nos
chim res ?
l ches et cupides, livr s au monde hasardeux. des
jeux grossiers et des livres de m nage. des cartes
brass es, ne peut-il sortir que l’ ne ou
le pendu ?
.XIII.
Il s’enfuit dans la nuit
Une souffrance s che
Cherchant en aveugle sa n cessit La
ville
Et les quais De lourds mausol es industrieux
Et des fa ades aust res comme une main de whist
l’aube dans l’oscillation des premiers
phares
Une vitrine poussi reuse TRISTAN
UND YSOLD Antique atelier de modiste
O s’exhibe un mannequin de femme Le front
Enferm dans un sac La peau grivel e
Hanches et seins garrott s Deux bandes de cuir
l’ treinte chiffr e Lent
supplice
Et d’ tranges instruments aimantant le
d sir
Une r gle de bois des fuseaux de fil noir
Et des bas Il demeure immobile
tourdi de sommeil d brouiller le
sens
Dans l’ombre une vieille SINGER
la roue noire
Actionnant un d licat m canisme
De nerfs et d’organes int rieurs Le hasard
S’enfonce en lui comme une aiguille hypodermique
Il implore voix basse ce spectre huileux
Qui souffre dans la p nombre Et les larmes
Le suffoquent...
.I.
Ils courent leur fin
sans se m ler
La mer est entre eux comme un couteau
Tristran maintenant que tout est accompli
Se perdre o rien ne fait obstacle au mal
Un d sert montueux ferm comme un tombeau
Voil o nous tendions voil le lieu
central
Des cr tes parall les au milieu des cartes
Longues combes lev es gerc es de lacs
Parfois sur une le un enclos de dix ares
O filtre intervalles parmi les houx sauvages
La fl che d’un ciel fixe L
Nu et solitaire au fond de l'Irlande
Se garder pour celle qui ne changera plus...
Maintenant qu’ils sont d livr s du
r cit
Ceux qui peinaient sur une chaise dure
L vent les yeux de leur r ve bloui
Et retrouvant aux volets la pauvre lumi re
Qui descend sur leur vie Ils souffrent enfin
Pour eux-m mes...
.II.
Loin des provinces maritimes Loin
des routes
Ghuag n Barra Deux montagnes pour cl ture
Et un lac tir o une le
vacille
D rivant au vent sur son lit de roseaux
Ici se contenter exasp rant sa p nitence
L’ombre qui passe et la conversation des b tes
Un chien nu quelques truies poitrinaires
Et trois rangs de pois sur leurs hampes graciles
Louant le pass sous un houx centenaire
Bless chaque mois d’une pi ce de cuivre
Aveugle d votion martel e dans l’aubier
Le silence grandit Les monts glissent au pas
Les pentes se couvrent de mousse et de neige
Et le sang suppure comme aux plaies d’un l preux
Ici oublier et tre oubli
peine rattach au monde d’autrefois
Par quelques signes connus de soi seul Un rosier
Et une vigne m l s Une loge sous les arbres
Perc e par l’ clair du matin Sur une
croix
Un nom rong par les pluies...
.V.
Ils ont menti pour nous
blouir
nouant en tresses
les
passions
des couronnes
clatantes
et longuement
nous ont
tent s
un jardin loin des
murs
o se joindre aux
amants
enfi vr s
puis ils
saccagent tout
et
nomment faute
le d sir
une l pre
qui
consume la chair
et n’a
pas de fin
sinon ce
v tement de terre
qu’il
faut rev tir enfin
et
m me l
embrass s
comme deux tiges
m lant leurs racines
Ils morig nent les amants
ils
ravalent leur nom
redoublant
ce que
tous ont dit
chacun
son mot
sa
graine dans la terre commune
l’orthographe change
et les
pays un
pr fondant dans la
maremme
ou une
le bruissante
mais
toujours
au bout du chemin
ce
trou dans la terre
quoi
le
d sir conduit
et la folie
d’aimer
m me
sans
cesser
peut- tre
en secret
de la
louanger...
.La seconde fin.
J’ai tant
repouss cet instant. une
chambre grise et froide, un lit picot, un ciel infirme dans un volet.
soir et matin l’ombre de la seconde Is . une
cloche au
loin, parfois, scandant les le ons communes.
l’accompagner
en sourdine, un couple de sangsues coll la
gorge.
Il sait et n’esp re plus. en toi
j’ai bu ma mort...
la peau se r tracte. les tendons saillent. le ventre gonfle.
un
souffle pais sur ses l vres aspire et chasse la
poussi re. pour qui maintenir le corps en vie ? il
l’attend pourtant, couch contre le mur humide.
l’encoche des jours s’ mousse dans le
pl tre.
Ys sanglotte, un doigt sur des lignes douteuses. elle se
jette
sur la mer, l’orage retient longuement sa voile. puis elle
est
l , elle bute sur un corps aveugle. je ne suis pas...
dans un morceau de vitre, hors d’atteinte, le ciel parcourt
le m ridien. je ne suis pas Ys si je
ne sais te suivre... elle accomplit sans trembler son destin.
ils roulent embrass s dans l’ab me.
La clart qui les enveloppait,
n’ tait-ce
qu’une illusion ? ceux qui taient avant nous se
sont tus.
ils nous ont men s sans sollicitude, parcourant les deux
voies,
disant mauvaise la plus d sirable. le temps a parfait leur
œuvre : corrompant l'indicible joie et pargnant
les
derni res pages.
.VII.
Ils mentaient pour nous enseigner
flattant
notre humeur
une
galimafr e
d’ loges et
de ruses
dressant
l’ cart du
monde un
lit
odorant
o faire de soi
l’offrande
et
poss der
ce qui
n’est pas d’ici
s’ils disaient poison
la lueur dans leurs yeux
et d sert
les
collines sauvages
nous
n’entendions pas
embrassant
dans un frisson
une vision
puissante
o la raison ne
parlait pas
Ils se sont tus dans un hoquet
et
le chagrin nous saisit
genoux dans un marais acide
qui
dissout les passions
et conserve
les
corps
pour
l’ dification
des
g n rations venir
tourbe paisse o
tout revient
et le
poison qui coulait dans
leurs
veines
passe aux fleurs
clatantes
aux
pines
aspir par
les racines noires
colorant les
baies des foss s
les
mousses
et les
pierres...