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Du neutrino véloce

ou Discours de la virgule

(Passage d'encres, 2015)
Dessin de Marc Giai-Miniet
Dessin de Marc Giai-Miniet


Cabinet de société (Henry, 2011), un recueil d’une soixantaine de récits écrits en hommage aux « saints Lagarde et Michard », qui évoquent de façon souvent lointaine et déguisée les écrivains notre adolescence (et quelques autres), se termine par la notule suivante :

À l’occasion de la composition du présent volume, une furieuse controverse s’est élevée entre l’auteur et l’éditeur sur l’évolution de la langue et l’usage de la ponctuation, suite à quoi l’auteur a écrit un dernier récit, Du neutrino véloce ou Discours de la virgule, qu’on peut se procurer chez l’éditeur, accompagné du point de vue de ce dernier, Des petits pois aux lardons cum commento.

Le présent récit est donc le fruit de cette furieuse (et amicale) controverse. Il a pour sociétaire secret Olivier Rolin. Quant aux petits pois aux lardons du rusé Jean Le Boël, ils n’existent pas plus que les Poys au lard de Rabelais qui, dans sa préface à Gargantua, les fit malicieusement figurer dans la liste de ses ouvrages.

La version initiale a été publée dans la revue Secousse n°13 (juin 2014).

Tirage de tête : dix exemplaires, contenant un dessin original de Marc Giai-Miniet, numérotés et signés des auteurs.

Extrait


                L’Étang, 11.7.11

    Mon cher Jean,

Il n’est plus d’usage de s’écrire. Le stylo aura bientôt rejoint le talc et la plume d’oie, et peu s’en faut que le jargon n’ait déjà tué la langue – par chance, les billets électroniques qu’on commet aujourd’hui s’effacent dans l’instant. Mais l’occasion réclame mieux. Juges-en plutôt. Avant-hier, à peine débarqué du train de Rang-du-Fliers, je bute sur un ami évanoui depuis l’École. Il avait trois heures à perdre avant une correspondance, S* m’avait accordé la permission de minuit : nous voici à la Brasserie Terminus Nord à ressusciter imprudemment le passé. La poussière des années vole, il s’enfièvre peu à peu, les yeux dilatés sous ses verres, pétardant de la main ses cheveux gris pour y réveiller l’ancienne crinière : et revivant nos équipées à travers la banlieue rouge, les coups de main, les meetings à la diable aux portes des usines, et les longues virées nocturnes à chanter L’Orient rouge dans Paris assoupi, entassés dans une vieille Ami 6 collective (je me suis souvenu tout à coup de l’avoir empruntée pour rejoindre dans une chambre des Buttes-Chaumont une russe blanche dont j’étais amoureux, dont rien ne m’est resté, pas même le prénom… mais si : un volume des fantaisies lunaires de Laforgue, qu’elle mettait au-dessus de tout, malignement dérobé pour garder une trace d’elle), une guimbarde à l’habitacle perforé par la rouille, au coffre lesté de tracts, ou de cette pesante littérature que nous préférions à toute autre (Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao !), j’ai regretté la folie qui nous soulevait de terre. Non que je m’y sois adonné bien longtemps, mais ce peu a suffi à me faire un passé : le sang brûlait en nous, le moindre évènement nous était une épopée.

(...)



Critiques

C'est avec grand délice qu'on lit ou relit ce texte de Gérard Cartier. Élégante publication, enrichie d'une dessin de Mrc Giai-Miniet. C'est un livre-exploit (...). J'aime voir ‒ lire ‒ dans cette prose de Gérard Cartier ce dépassement de la vitesse d'écriture de tous les autres auteurs ‒ contemporains ou passés (et je pèse mes mots), car en quelques pages, nous avons, très condensé, un monde, un univers, balayant (dans le sens de parcourir) tous les domaines : histoire, littérature, critique littéraire, journal, sciences, correspondance, milieu littéraire, voire édition, rêves, visions, la dispute littéraire sur des sujets « ardents » (...). Donc, dans le microcosme des neuf pages un macrocosme est compris ! (...) Ces quelques pages valent des décennies, voire des centaines d'années de littérature !      Sanda Voïca (Paysages écrits n°25 - sept. 2015)

 

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