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Introduction au désert

(Obsidiane, 1996)
À l'origine :
Le camp 12
Le camp 12
 

L'Introduction au désert est une méditation, qui prend la forme de courts poèmes, sur la tragédie du Vercors. Ce livre a été publié un an avant Le Désert et le Monde, qui a développé le récit de la fin des maquis, en y mêlant les personnages d'un roman.



Extraits



.I.

Le lieu           une ville serrée dans des eaux vagabondes
plus haut cavernes et jungles           le ciel caillé
je suis soudain si vieux que je vois des esprits
et le siècle féconde à nouveau ce tertre oublié
une forteresse au milieu d’affreuses forêts
seule porte le ciel           humble séjour
où des camps se dressaient           Saint-Ange
Esparron
          derniers cantons de France...

perdu dans le nuage des années           voué
à la solitude et au silence           pays de V...

.III.

Parfois           un pouce entre les pages           écoutant
l’obscure leçon           j’entends au loin des pas
des souffles dans les pins alourdis           en ce temps
l’été 43
...           comme si rien n’était écrit
comme si dans cette aube fossile           des enfants
erraient toujours           taciturnes           les pieds
et les mains blessés           fuyant les années

mais rien ne nous répond           les bois sont libres
les partisans muets et les lauriers coupés
il n’y a que le vent à me renifler
les nuages qui déplacent les crêtes           et le froid
qui apaise le sens

.V.

Ils fuyaient           poussés par la cendre des bûchers
leurs blessés suspendus entre deux verges

Clément           Hervieux           ceux de Bouvante et d’Ambel
chancelants           ivres d’une plainte mordue

rien ne passe la douleur et la mort...
une voix portée d’âge en âge

.XIV.

C’est de nouveau la Pâque quarante ans ont suffi
à souder les machoires de l’éternité

.XV.

Et j’ânonne à mon tour l’implacable leçon
jamais           ne changera           nunquam...

ne poursuivant déjà que l’herbe et le vent
étages mobiles qui recouvrent la trace
des supplices           et disent           la douleur est moins
que l’esprit du vent           moins les plaintes
et les noms répandus           que les tiges oscillantes

comme sont loin ces lieux amers           retirés
sous la houle des herbes           où seul parfois
si le pied bute           le cœur se trouble et devine

.XXXV.

À nous donc           derniers à savoir
quitter le siècle           et sous le carreau scellé
repoussant le printemps           chanter l’infortune
et les dieux à langue morte

des mots lents et durs           cimentés aux pierres
les arracher à ce pays distrait           qui s’apaise
silence le tumulte           et silence           la chair

et face au ciel oblique           où l’aile qui passe
ne trouble plus le cœur des vivants
seuls défendre et perpétuer le désert

.XXXVI.

Habiter les monts           les villes du désert
le cœur et la langue des bourreaux
et qu’au sommet de V. une dernière fois
sonne le désordre des mots

un réduit aérien que frappe le soir
sur un pas d’herbe sombre deux torrents
tombant d’une grotte peinte

et quarante blessés sous les étoiles noires
...




Critiques

 

Cette Introduction au désert est un retour au lieu, aux êtres liés à la mémoire depuis un temps de l'enfance situé en « l'été 43 ». (...) on oeuvre. Nous marchons dans le poème, comme dans une procession. Lente avancée vers le désert, dans ma mémoire et contre tout oubli.       Hervé Martin (Incertain regard n°1 - été 1999)

 
 

...son oeuvre de poète interroge une tragédie qu'il n'a pas vécue, dont la complexité, l'opacité pèse sur les générations d'après-guerre. (...) Depuis des années, il travaillait à un vaste poème, dont une préfiguration avait paru sous le titre Introduction au désert en 1996. Là aussi, il y était question de l'oubli qui, dans uen nature sauvage, recouvre également les moines éteint depuis plusieurs siècles et les combattants de la Résistance.       Françoise Hàn (Cahiers de l'Archipel - mai 1998)

 
 Europe n°827

Introduction au désert, en 1996, nous proposa une première approche du thème du Vercors, dans cette poche de nuit où se réfugièrent les maquisards pourchassés par les SS. Le poète s'y affirmait comme l'intercesseur des sans-voix, des déjà-oubliés. Il esquissait son projet : Habiter les monts        les villes du désert   /   le cœur et la langue des bourreaux / et qu'au sommet de V. une dernière fois / sonne le désordre des mots.       Charles Dobzynski (Europe n° 827, mars 1998)

 
  Europe n°813-814

Gérard Cartier se fonde sur la circonstance, mais il la pérennise en évoquant un temps du souvenir et des forces élémentaires au-delà des temps particuliers. Son travail sur les silences à l'intérieur du vers et sur l'italique n'est jamais artificiel, mais contribue à créer la méditation. Œuvre de mémoire sans facilité ni complaisance, Introduction au désert suscite une émotion tout à fait originale, par la pureté de l'expression et la présence si dominée des strates temporelles.       Marie-Claire Bancquart (Europe n° 813-814, février 1997)

 

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