La comète
(Thomas d'Angleterre)
Je ne me mêle plus aux pensifs ni aux vigoureux,
aux naïfs
ni aux pervers. J’ai punaisé sur ma porte un billet : Ne pas déranger.
Je suis Tristan le porcher. Je suis Isé.
J’ai fait d’eux mon cachot, leur vouant toute ma vie pendant deux
années. Une chaise dure et quelques livres, et les outils dont
ils se servaient : un paysage solitaire, un nom, une plume fendue.
Je me suis identifié à l’un et à l’autre,
tantôt mâle et tantôt femelle. Je me suis
saoulé de leur espérance, j’ai exulté dans leur
désir, je me suis désespéré.
Une comète tout un automne a balayé le nord, sa longue
traîne accrochée dans la haie. J’en ai tiré de
terribles conjectures.
J’ai loué en blâmant et aventuré tant de mots qui
disaient autre chose que ce qu’ils signifiaient. Breri le savait, qui
vécut avant nous, gardien de la vraie tradition : « famosus ille Bledhericus...»
Je me suis échappé à travers bois, j’ai dormi sous
un auvent de branches, une épée m’a percé
l’aisselle dans mon sommeil. C’étaient des visions, des
rêves exorbitants. Je suis comme un saint dont le sang coule
à la hanche et aux mains.
Au troisième printemps la mer nous a séparés. Je
souffre de part et d’autre, éprouvant le hasard, l’inconstance
et la mémoire. Est-ce là que menait la « droite voie » de Bréhéri ?
Si puissante la joie, qui enfante tant de douleur. Ai-je mérité cette
épreuve ?
L’orage toute la nuit a couru à grands cris et je n’ai pas
trouvé le sommeil. Toute la nuit j’ai senti mon amant qui
pleurait dans mon dos, les genoux contre mes reins.
Ce matin, dans l’entrebâillement des volets, un rai de mer
paisible où glisse une voile qui s’éclaire et s’assombrit
sous les vents tournants.
Il est tassé dans ce lit exigu, mordant le drap, le front contre
le mur. Nu, ses membres découplés amaigris, un phasme. Le
tirer dans mes bras, lire dans ses pupilles dilatées, lorgner un
repli de peau.
Si nous avions su rester ensemble, s’il avait repoussé cette
autre qu’il ne pouvait aimer, si je n’avais pas tant tardé.
Sur la terrasse les cyprès luisent, les grives dans l’herbe
simplifient la création. C’est le perdre plus sûrement. Je
voudrais être aveugle.
Je voudrais être morte, nos poussières mêlées jetées au vent d’aval.
|