Le petit
vingtième
(Aragon)
Étrange
comme la rencontre dans un lit de passe d’une fausse comtesse et d’un
préfet de
police.
Je suis celui que je ne suis pas.
Il a six ans, la fable sort tout armée de son front.
La réalité, la réalité, quelle
pénitence. tout est-il réductible à 2πR ?
Sur l’homme abstrait la beauté du corps : membres
déliés, muscles & lèvres
mobiles.
Les trains ballottent dans la nuit des êtres infirmes, qui ne seront
bientôt plus qu’un peu d’or sur la pierre.
La beauté disséquée par les éclats d’obus.
chair, parties molles et cartilages. ce flegme qui coule, était-ce
l’âme ?
Nuages emportés vers l’est. gémir dans la plainte des oies. je
ne suis pas celui que je voulais.
Une chambre garnie à l’HÔTEL DE L'UNIVERS.
le désir passe la fenêtre. ce cœur ivre ! une grive
musicienne.
Une bande de jeunes gens chapeautés et cravatés, le poing
fermé comme au milieu
d’un ring.
Cette folle énergie. ces intrigues. ces dithyrambes et ces
anathèmes.
Passage de l’Opéra. au CAFé
CERTA une table brûlante : Amon
nos autes. Diderot passe avec Madame Jehane. massages au 2e.
La réalité vacille dans l’œil d’une extra-lucide.
Une chambre d’hôtel au milieu de l’Espagne. le désespoir le
déchire. il jette au feu celui qu’il croyait être. en vain.
Une étoile tombe. il est trop faible pour écarter
l’épreuve. il ouvre les bras et étreint son destin.
À nous deux, monde ancien ! il met le feu aux restes de l’Exposition
Coloniale.
La nuit au milieu des rotatives, les doigts tachés d’encre.
mâchant des mots terribles. la réalité, la réalité.
Les trains de nuit, le salpêtre des caves, les chambres à
double fond. il fait son lit d’une valise.
La mort ne m’éblouit pas. je ne suis pas celui que l’on croit voir.
Les bras ouverts en haut des tribunes devant des foules en liesse.
La réalité enfermée dans 2πR étroitement.
Ces intrigues, ces louanges et ces anathèmes.
Il cherche ses rimes aux réunions du Comité Central. sait-il
que rien d’autre n’en subsistera ?
Un torrent court sous ses pieds. il est à sa longue table, chassant
de la main une femme importune : il chante la première Elsa.
Soudain la chambre est vide. il se retourne. ai-je été celui que
je ne voulais pas ?
Dans le grand âge, auprès des jeunes gens, son manteau à
l’envers jeté sur les épaules.
La chambre de Varenne. les murs piquetés de cartes postales. les
séries noires écornées, entassées sous le lit dans la
poussière.
Sa voix est rauque. ses mots souffrent. sa chambre se peuple d’ombres.
Immobile, hébété sur sa chaise.
Il disparaît, comme les frontières de l’est. il est à
ceux qui ne changeront plus.
Les signes l’enferment. une pierre et un rossignol.
in Cabinet
de Société (Henry, 2011)
Version
initiale
in Faites entre l'Infini n°34 (déc. 2002)
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