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Luciano Erba

Trois sourires

Poèmes traduits de l’italien par Gérard Cartier, révision d’Elena Luchetti

Anthologie permanente

Luciano Erba, né à Milan en 1922 et mort en août 2010, est considéré comme l’un des principaux poètes italiens de la seconde moitié du vingtième siècle. Il ne publia qu’une dizaine de recueils, dont deux seulement ont été traduits en français : L’hippopotame (Verdier, 1992), précédé d’un beau salut de Philippe Jaccottet, et Sur la terre du milieu (Comp’Act, 2003). Il a lui-même oeuvré, par ses traductions, à faire connaître la poésie française en Italie. On connaît sa manière modeste, attachée aux signes du quotidien, dont le charme mélancolique laisse affleurer une métaphysique désenchantée. Pourtant, l’ironie y est souvent présente : de cette veine témoignent les poèmes qui suivent, inédits en français.



La Grande Jeanne

La Grande Jeanne non faceva distinzioni
tra inglesi e francesi
purché avessero le mani fatte
come diceva lei
abitava il porto, suo fratello
lavorava con me
nel 1943.
Quando mi vide a Losanna
dove passavo in abito estivo
disse che io potevo salvarla
e che il suo mondo era lì, nelle mie mani
e nei miei denti che avevano mangiato lepre
     
in alta montagna.
In fondo
avrebbe voluto la Grande Jeanne
diventare una signora per bene
aveva già un cappello
blu, largo, e con tre giri di tulle.

                   (Il male minore, 1960)
La Grande Jeanne

La Grande Jeanne ne distinguait pas
entre anglais et français
pourvu que leurs mains soient faites
comme elle le disait
elle habitait le port, son frère
travaillait avec moi
en 1943.
Quand elle me vit à Lausanne
où je passais en costume estival
elle me dit que je pouvais la sauver
et que son monde était là, dans mes mains
et dans mes dents qui avaient mangé du lièvre en
     haute montagne.
Dans le fond
la Grande Jeanne aurait voulu
devenir une dame pour de bon
elle avait déjà un chapeau
bleu, large, avec trois tours de tulle.

                   (Le moindre mal, 1960)



Don Giovanni

La Nene ha un gran cappello
a sesti di piquet
e colorati sopra
lamponi e raisinet.
Per me è un gran gelato
servito con la frutta
ma non si dica a Nene
che nel mese di agosto
le starò sempre accanto
per quel cappello bianco.

                   (Il male minore, 1960)
Don Juan

Nene a un grand chapeau
avec des arceaux en piqué
et bariolés dessus
framboises et raisinets.
Pour moi c’est un grand sorbet
servi avec les fruits
mais qu’on ne dise pas à Nene
que pendant le mois d’août
je serai toujours près d’elle
pour ce blanc chapeau.

                   (Le moindre mal, 1960)



Rinuncia al titolo
di un mio volumetto di versi

Agli inizi degli Ottanta
forse in vena di magia
battezzai Nastro di Moebius
un mio libro di poesia

altri titoli consimili
ma d'un ambito più fisico
mi proposi destinare
ad un opus metafisico

fu così messa da parte
sia la vite di Archimede
sia, e non senza esitazione,
eh sì, la fontana di Erone.

Ecco ora il nuovo libro
che un'azione di disturbo
m'impedisce intitolare
Gli emisferi di Magdburgo

io non so se in queste cose
vai la norma del brevetto
fatto è che un noto autore
si è appropriato il mio idioletto

non è un grigio pennivendolo
ma un semiologo avvertito
e se gli contesto il Pendolo
dirà, sai, ho decostruito.

                   (L’ipotesi circense, 1995)
Renoncement au titre
d’un de mes recueils de vers

Au début des années quatre-vingt
peut-être en veine de magie
je baptisai Ruban de Moebius
l’un de mes livres de poèmes

d’autres titres analogues
mais d’un domaine plus physique
je me proposai de destiner
à un ouvrage métaphysique

fut ainsi mis de côté
tant la vie d’Archimède
que, non sans hésitation,
eh oui, la fontaine d’Héron.

Et voici mon nouveau livre
qu’une action perturbatrice
m’empêche d’intituler
Les hémisphères de Magdebourg

je ne sais si pour ces choses
vaut la norme du brevet
le fait est qu’un auteur fameux
s’est approprié mon idiolecte

ce n’est pas un gris folliculaire
mais un sémiologue averti
et si je lui conteste le Pendule1
il dira, tu sais, j’ai déconstruit.

                   (L’hypothèse du cirque, 1995)

1 Référence au Pendule de Foucault d’Umberto Eco.




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