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Digraphe n°39-40 (juin 1987)

Réponse à l'enquête :

Des écrivains trop connus ?

Revue Digraphe n°39-40
(juin 1987)

 



Pensez-vous qu'il y ait aujourd'hui des écrivains trop « connus » ? Si oui, lesquels et pourquoi ?

Oui. Mais patientons un peu. La littérature a un prodigieux estomac. Merveilleuse capacité d'assimilation, qui lui permet de réduire à leur juste grandeur ceux qu'elle a dévorés. Aux noms usuels, artisans des Lettres Courantes, chacun ajoutera selon son goût et son âpreté particulière tel ou tel autre de ses contemporains. Mais est-ce tout à fait nécessaire ? (Pour n'être pas pusillanime : Marguerite Yourcenar). Au-delà du commerce incessant des valeurs (où le goût seul ne doit pas porter jugement. Comment juger ceux pour qui la littérature n'est qu'un des modes possibles du happening social ? Au travail de l'écriture une certaine morale ne doit-elle pas s'attacher ? Forains et bonimenteurs. Jean-Edern H.), le plus grave est le retour massif à l'expression classique, une forme sans ruse, écriture pourrait-on dire à la plume Sergent-Major. (Chez les meilleurs même : Yourcenar, Tournier, Modiano).

Pourquoi ? Comment expliquer le peu de place accordée à certains parmi les plus grands de ce siècle ? (Je pense à Claude Simon, presque inconnu en son pays, malgré la critique, malgré le récent Nobel). Les excès formalistes de la décennie passée ont certainement joué leur rôle dans le désintérêt du public et des auteurs pour les recherches, la nouveauté. Mais est-ce tout ? Il y a ce repli sur les valeurs éprouvées, conformisme ambiant qui touche aussi la littérature, celle-ci banalisée, conçue comme un exotisme, et qui répond au goût naturel des lecteurs en ces temps difficiles. Et les écrivains eux-mêmes sont portés sur le dos de leur siècle.

Il existe dans le Pacifique un phénomène nommé tsunami. Il s'agit d'une onde de grande amplitude, mais de longueur considérable, impreceptible aux navigateurs, qui n'observent autre chose que les vagues qui se forment à la surface. À la rencontre d'une côte, le tsunami déferle en raz-de-marée. Il y a en littérature des tsunamis qui traversent les siècles. Comment épouser le tsunami, qui est l'esprit de notre temps ? Qu'au moins cela soit tenté. Même si, de tant de bons nageurs qur l'on voit parmi nous, les noms doivent se perdre. Puisqu'il est d'usage de finir par un apologue.




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