Pensez-vous qu'il y ait aujourd'hui des écrivains trop « connus » ? Si oui, lesquels et pourquoi ?
Oui.
Mais patientons un peu. La littérature a un prodigieux estomac.
Merveilleuse capacité d'assimilation, qui lui permet de
réduire à leur juste grandeur ceux qu'elle a
dévorés. Aux noms usuels, artisans des Lettres Courantes,
chacun ajoutera selon son goût et son âpreté
particulière tel ou tel autre de ses contemporains. Mais est-ce
tout à fait nécessaire ? (Pour n'être pas
pusillanime : Marguerite Yourcenar). Au-delà du commerce
incessant des valeurs (où le goût seul ne doit pas porter
jugement. Comment juger ceux pour qui la littérature n'est qu'un
des modes possibles du happening social ? Au travail de
l'écriture une certaine morale ne doit-elle pas s'attacher ?
Forains et bonimenteurs. Jean-Edern H.), le plus grave est le retour
massif à l'expression classique, une forme sans ruse,
écriture pourrait-on dire à la plume Sergent-Major. (Chez les meilleurs même : Yourcenar, Tournier, Modiano).
Pourquoi ? Comment expliquer le peu de place
accordée à certains parmi les plus grands de ce
siècle ? (Je pense à Claude Simon, presque inconnu en son
pays, malgré la critique, malgré le récent Nobel).
Les excès formalistes de la décennie passée ont
certainement joué leur rôle dans le
désintérêt du public et des auteurs pour les
recherches, la nouveauté. Mais est-ce tout ? Il y a ce repli sur
les valeurs éprouvées, conformisme ambiant qui touche
aussi la littérature, celle-ci banalisée, conçue
comme un exotisme, et qui répond au goût naturel des
lecteurs en ces temps difficiles. Et les écrivains
eux-mêmes sont portés sur le dos de leur siècle.
Il existe dans le Pacifique un phénomène nommé tsunami.
Il s'agit d'une onde de grande amplitude, mais de longueur
considérable, impreceptible aux navigateurs, qui n'observent
autre chose que les vagues qui se forment à la surface. À
la rencontre d'une côte, le tsunami déferle en
raz-de-marée. Il y a en littérature des tsunamis qui
traversent les siècles. Comment épouser le tsunami, qui
est l'esprit de notre temps ? Qu'au moins cela soit tenté.
Même si, de tant de bons nageurs qur l'on voit parmi nous, les
noms doivent se perdre. Puisqu'il est d'usage de finir par un apologue.
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