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Romane aux oiseaux


Passagers du silence,
    oiseaux dans le bleu unanime,
        jaillissant par salves et nuées !    

                                                                    Lionel Ray

Ce devait être un recueil pour les enfants ‒ peut-être en reste-t-il quelque chose ‒ et puisqu’il n’est pas, pour eux, de poésie sans mesure, des manières de sonnets. Votre âme, disait l’autre, est un paysage choisi. La mienne, près de la petite Romane, est une volière.


Extraits




1
Bois et jardins


.Turdus merula.

Ce chant allègre dans les buis sombres
Six notes        début d’Avril au Portugal
Un léger fantôme en habit de deuil
Du fond de ma haie réveille étourdiment
Le passé       moi aussi je l’ai cru moi aussi
Je me souviens d’avril et du Portugal
Des œillets rouges dans les cheveux des filles
Fanfares parfums flacons de vin vert
Quarante ans ont passé        vient l’automne
On dit qu’aujourd’hui le Portugal est triste
Seul se souvient du bonheur disparu
Le fantôme qui habite ma haie
Et chante en étourdi l’allègre refrain
Transmis d’arbre en arbre à travers les années


.Bubo bubo.

Mont du Grand Som Effigie de silence
Une mince croix au milieu des nuages
Nous glissons glissons imperceptiblement
Prairie déserte       forêt vide       longue
Patience à mourir sans secours de scapulaire
Une plaie au flanc où les mouches s’agglutinent
Immobile à jamais cloué sur la porte
Face à la haute dent de pierre       demain
Précède hier       triste et léger comme l’aile
Qui geignait autrefois dans la nuit troublant
Sous leurs sèches couvertures monacales
Les enfants       long dortoir lits de fer       écoutant
Tomber du Grand Som la voix plaintive
Déesse incarnée enfuie à jamais
 



2
Eaux et marais


.Ardea alba.

Ce roi sauvage membres tors beau visage
Arraché aux tourments de la bataille My kingdom
For a horse ! par des moines charitables
Après cinq-cents ans à courir sur les scènes
Boiteux orgueilleux bossu amoureux
Et séduire celles qu’il a fait veuves       ce roi
Qui n’est plus qu’une dent sous le microscope
Bruns éclat de cote fragments de fémur
Retrouvés par hasard au chantier d’un parking
Voilà qu’on sait tout de lui où né où grandi
Un lac à roseaux quoi mangé oiseaux blancs
Aux longs becs longs fémurs élégants
Et l’aigrette nuptiale sur le dos comme
Au chapeau des comédiennes



.Cygnus olors.

Stella in Cygno observata a Joh.
Hevetia       et cinq jours avant lui
Un chartreux       saignant au cou du cygne
Tendu vers le nord les ailes déployées trouées
De blessures       volant dans la mitraille
Happant les balles comme des mouches
Celle-ci sur la carte cerclée de rouge Nova
1670 comme un œil entouré de cils die
25 Julij un peu au-dessus du cercle du cancer
S’allumant dans les pins s’éteignant renaissant
Étoile mystérieuse       timide comme
Au firmament ces étoiles sans nom
Qu’aujourd’hui seulement son éclat dissipé
On peut connaître       naine blanche




3
Serre exotique


.Threskiornis aethiopicus.

Ce long instrument au galbe parfait
Ce n’est pas pour chercher dans la vase du Nil
Les vers (serais-tu toi aussi de cette folle engeance ?)
Ni pour complaire aux prêtres qui te croient
Un succédané des dieux       écoute
L’homme au nez le Cyrano antique
Exilé chez les Gètes       que la mer en vain
A sauvé du naufrage et jeté sur les bords
Marécageux de la mer Noire       d’où sans relâche
Il envoie par vaisseaux ses tablettes de cire
Pour flatter les puissants       et tancer follement
Amis et ennemis       ce long bec recourbé
Qui te déséquilibre       la Providence
Nous l’a donné pour se gratter le cul





4
Autres ciels


.Pihis sinensis.

Pensant à Guillaume c’est Lou que je vois
Son visage sa gorge ses hanches son
Qui sait qui va me lire un gamin égaré
Qui courra se déniaiser chez Kostrowitsky
Pensant à Guillaume je vois long et souple
Cet oiseau infirme engendré à la Chine
Qui ne peut seul hanter le ciel et veut
Une compagne incessamment      pihis pihis
Toi qu’un destin railleur n’a nanti que d’une aile
Comme en Asie sont les dragons et ici
Les courtisanes      et qui bas la poussière
Sans t’arracher à ce ravin de larmes
Me voici comme toi      solitaire
Oublié      et banni du ciel…




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