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Détournez-vous ! Baissez les yeux !
si beau Mara est une enfant qui grandit et découvre le monde. Le projet de ce livre est très ancien. Je crois l’avoir conçu il y a plus de trente ans. Les premières traces avérées, quelques pages en revue, datent de 1994. J’ai longtemps conservé dans mes fichiers, sans y toucher, un manuscrit de soixante-quatre poèmes. Il y est fait allusion dans Le voyage de Bougainville : Je brûle tout sans faute après ce Bougainville Ce qui nous troublait s’obscurcit – ou pire :
devient littérature. Mais le hasard gouverne : un jour tout reprend
vie. Entre temps, Mara s’est métamorphosée. L’absente aussi, changeant
de nom, de visage, de patrie. L’esprit s’obstine au même au moyen
d’images changeantes. Le vrai gagne, le plus souvent, à se cacher dans
le faux. (Extraits dans Écrit(s) du Nord n°6, Diérèse n°74, Incertain regard n°19, Les Carnets d'Eucharis 2021). |
Extraits |
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Les enfances de Mara |
Le Grand Huit |
La passion Mara |
.II.
Mara exposée dans la neige du Vercors
Masque mongol aux yeux fendus de fièvre
Mara au dessus des jardins
Un bouquet d’orties entre les dents
Immobile aux genoux d’une statue mutilée
Un mur de brique rouge et de marbres brisés
Seule sous la flèche de midi déchiffrant les dalles
Entre les lauriers vernis d’un cloître palermitain
Les mots d’une langue perdue à jamais
– S’agit-il de faire œuvre de vérité?
S’agit-il d’être soi malgré le mensonge
Où il faut pourtant se dissimuler?
.III.
Mara-des-étés au dessus des jardins
Agitant dans un rire un bouquet d’orties blanches
Aux minuscules fleurs épilées Qui se frotte
Au diable croit-il oublier la brûlure?
Mara-des-nombres dévalant sur un pied
L’échelle qui joint le ciel à l’enfer Tandis
Qu’au centre du monde sur la terre en repos
Le soir bruisse dans le tilleul non récolté
Mara-du-silence au pied d’un socle fendu
Où d’un bras amputé au-dessus du coude
Une déesse en tunique désigne une mer
Perdue sous les toits MAVRELIVS.HERMES.
Ne s’agit-il que d’être encore? Ne s’agit-il
Que d’aimer? Je dessine dans la poussière
Du bout d’une baguette des images confuses
Que la pluie va mêler pour les rendre au hasard
.XXI.
Trois brasses de ciel dans la fente d’un
mur et la cime
De l’Oisans comme dans un trou du
papier
Les monts de Shinano trois vers
Emprisonnaient le monde vent
flottant
La compagnie des puces et des mouches
Et la neige fraîche royaume des
enfants
Mara est parmi eux elle tient à la
main
Un être de chiffon aux membres défaits
Je l’espionne allongé sur le coude
derrière
Un mur fendu traçant dans le plâtre
humide
Les formes que modèle la lumière d’hiver
Y fixant un pays éternel où Sato
Et Mara se confondent les cars des
VFD
Et les chevaux du Seigneur de Kaga
Détournez-vous ! Baissez les yeux !
si beau
Le monde qu’on ne peut le fixer
sinon
D’un œil dans la fente d’un mur que
les mots
D’ici vent flottant
ne savent le saisir
Sinon dans une brève étreinte...
.VI.
Mara suit la rive vagabonde
le vent
Sur elle noué dénoué déesse des eaux
Célébrant ces lieux de hasard où
l’air
Trace des chemins aussitôt refermés
Une ombre sur ses pas ou le vent je
ne sais...
Au loin des bandes d’oiseaux
décochés
Dans la solitude et deux rivières
accolées
Qui luttent repliées dans les joncs
je revois
Le noeud des eaux j’entends dans le
sommeil
Une clameur mêlée de voix et d’oiseaux...
Ai-je jamais quitté cette terre ?
vastes rives
Prairies mortes que l’esprit du vent secoue
Dans le nord la corne d’un mont mortifiant le ciel
Comme si ce pays n’existait que pour accroître
Le désir chancelant de l’éternel
Est-ce Mara dans ce pays furtif ?
est-ce
Mara qui déchiffre l’ancienne trace
happée
Par les herbes embrassant un monde
flottant
Est-ce elle que je suis en secret
dieu protecteur
Dont l’apparence change avec l’ombre et le vent...
.X.
Tout est si loin déjà
nous aimions ne sachant rien
de ce qui venait
flattant une patiente
chimère tous ces jours
prodigues qui ne furent
qu’un instant...
Ces nuits unanimes
n’espérant que l’un
de l’autre dont il ne
reste rien que l’angoisse
d’être l’un de
l’autre disjoints
malgré la cendre et les
années...
Un souffle à peine penchant
la flamme renversée dans la
nuit les plis d’un drap
et la tête rasée
embrassant un ciel intérieur
un pied abandonné
à l’eau noire...
À genoux devant le gué
lâchant la main de Mara
comme
mourir une seconde fois la solitude
et
la mémoire retenant en
vain celle dont il faut taire
le nom...
.VIII.
Là-bas
dans l’étroite barque des hivers
Que pousse un dieu cruel une femme
crie
Comment apaiser cette voix je frémis
Seul devant le fleuve serpent aux
flancs laiteux
Une porte s’ouvre sur l’eau morte je
descend
Des salles de chaux alignées sur des
bancs
De maigres trésors bagues et
monnaies
Pourquoi ce froid et l’odeur grasse
des bouquets
Au fond un lent hiver une porte
blindée
Et sous un linge humide comme une
novice
Au front pur et rasé ce visage
endormi
Où l’image se dissipe de ce qui fut
Si loin un pays décevant
oubliant
Les noms et les lieux étrangère à
soi un bras
Pendant sur le carreau glacé...
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