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Les Amours de Loris

(Les poèmes d'Ornel Colomb)

avec des illustrations de Joël Leck
(À paraître, Al Manar, avril 2025)

Ornel Colomb

Ce recueil est un triptique dont les volets latéraux sont inspirés l'un de L'Art d'aimer, l'autre des Remèdes à l'amour d'Ovide, encadrant une série de poèmes fugitifs : Les Amours de Loris. Ceux-ci forment la « partie du dessous » d’un échange amoureux, dont la partie du dessus (Les Amours d’Ornel) est laissée à l’imagination du lecteur.

Les adaptations d’Ovide sont extrêmement libres. Elles jouent sur les faux sens suggérés par la vieille langue et sont parfois fortement extrapolées.

Des extraits ont été publiés en revues sous le nom d’Ornel Colomb, le narrateur de L’Oca nera (La Thébaïde, 2019) : les impromptus des Amours de Loris sont nés dans le temps et les circonstances du roman. Ils sont voués à Livia, son héroïne – ou à la Loris qu’on voudra.

Extraits (attribués à Ornel Colomb) dans les revues [Ce qui reste], avec des photographies de Sophie Patry, et Terre à Ciel (suivis d'un entretien avec Clara Régy et illustrés par un photo-portrait de l'auteur par Ornella Ognibene).


Extraits

   


1
L'art d'aimer


Lettres

À sa vue tu t’émeus ta langue s’embarrasse
           inutile de consulter un logopède
écris-lui        l’amoureux le plus mesquin
est habile en cet art plus qu’un bonnet carré
effuse-toi sans crainte        prie-la doucement
           ne sois pas avare en paroles
le ciel ne coûte rien        imite les poètes
qui d’un petit Liré font un mont Palatin
pas de mensonges        déguise en flatteries
la vérité        serions-nous ici à jaser
si de tant d’amants les tablettes de cire
          et les missives cachetées
n’avaient porté les confidences        et même
gravée au canif une pomme        les mots
peuvent tout        elle a lu elle voudra répondre
affligée peut-être        priant qu’on l’oublie
presse-la        elle craint ce qu’elle veut
et redoute ce qu’elle implore        Jeunes filles
ne protestez pas        vous aurez sous peu
           part à mes leçons        Et bientôt
tu seras maître de ses vœux…


Figures

Laisse-moi seul un instant avec elle
tu ne t’en plaindras pas        Toi j’ai honte
t’enseigner ceci        mais dit la Bienveillante
notre tâche est la honte        connais-toi
une même figure ne convient pas à toutes
un beau visage offre-toi de face        ingrat
           dénoue tes cheveux        des fesses
à la Bardot montre-les        et aussi la nuptiale
au ventre flétri par les accouchements
de belles jambes mets-les sur ses épaules
petite chevauche        grande presse le lit
           de tes genoux la nuque en arrière
belle en tout et juvénile et les seins sans défaut
étends-toi et qu’il reste debout dans les ombres
d’une lampe sourde        mille et trois
les jeux de Vénus il y faudrait trois livres
refuse-toi parfois        non pour t’épargner
le fer s’use        la pierre amincit à l’usage
           or sinon un peu d’eau tu n’encours
nul dommage        mais afin d’aiguiser
intolérablement        son désir…


La couronne

Ma tâche est faite        il me resterait
soin superflu sans doute        à l’épouse
          enseigner des ruses florentines
pour mystifier celui qui s’en croit le maître
et avec son ami s’accorder en secret
pas de téléphone        des moyens oubliés
                      qui sont un théâtre et un jeu
des épîtres cachées sous le pied        ou
de sympathie        au suc d’une tige de lin
          ou au rouge à lèvres        émouvantes
sur le dos d’une amie        moyen aventureux
pour un amant frivole        me resterait à dire
          les clefs adultérines        et des magies
drogues de Colchide épices vins des laves
pour endormir l'époux        et enseigner à feindre
au lit mais baste       si j’ai chanté avec art
pas de myrte       sur un front osseux à quoi bon
des palmes posthumes        mais longtemps
gardez au chevet comme un talisman
de votre amour        mon livre



2
Les amours de Loris


Si passe au milieu du printemps • une beauté
en hâte • malgré ce qu’en disent les livres
& l’âge • comment • pour ne l’étreindre pas
n’avoir l'âme obscurcie • un grand ciel vert
          entre les arbres noirs • fuit • & déjà
est passée • à bicyclette • la beauté




Rien • 3 jours & 4 nuits • muette
           les jours passent • o cruelle • ici
sur l’Esquilin • une chambre comme une tombe
& dîner tôt • chez Apicius • truie miellée
vin muscat fruits poivrés • tu es loin
& long le temps • comme l’empire romain




Hôtel Leopardi rue Leopardi • témoin
qu’à Vérone on a le sang chaud • un lit
pour 3 • & pour un 4e • dîner maigre
d’un livre • les prix sous les glycines
ont fait fuir le passant • à toi dans la nuit
10 baisers • le front les yeux la bouche
épaules seins • nombril…




Autant qu’un autre je saurais te chanter
tu es belle ma laide comme une châtaigne
tes yeux un ambre où une mouche est prise
           tes seins petits 2 lunes de janvier
qui gouvernent raison & folie        & muable
tu te caches ma laide sous l’image
de la beauté…




Lourds tombeaux de brique abandonnés aux herbes
           aux bêtes rousses         IACET·PRO…
entre un long ciel de traîne & les catacombes
je vous hante cette nuit au fond du Barbera
chancelant au bord du gouffre        où m'attend
dans sa tombe ornée        la magicienne




Ut pictura amor        habileté de la main
& fantaisie de l’imagination        chercher
           les choses cachées sous les connues
& susciter ce qui n’est pas        ainsi
le peintre        & de son propre ouvrage
           envoûté         l’amant…




Belle d’hiver        belle d’été
           en cheveux         & à l’antique
en tout & en parties         en robe
           en drap        en nature…




Pommes sur la table Citrons & grenades
aux gourdes fraîches préservées par la cendre
& dans d’étroits cubicula des femmes
vénales à genoux sur un lit de lave
qui font à jamais à un dieu insatiable
hommage Un tribut de sueur & de plaintes
Plus vivantes que nous 100 fois…




Billet secret du Sultan à la princesse
Grisemine Mon amie quand j’étais lièvre
le thym fut mon bonheur Je fus lévrier
& crus que rien n’égalait le lapin Homme
à présent & roi je connais mon erreur
& vous veux dans mes bras…




3
Remèdes à l'amour


De la haine

C’est fini pas d’éclats pas de furies taurines
celle qu’on aimait         scélérat la haïr
           fin digne d’un génie sauvage
honteux les amants aussitôt ennemis
que dénouée l’étreinte        qui noie
                      son amour dans la haine
aimait mal        et cessera de souffrir à regret
ni        retiens la leçon de ces temps tracassiers
           ne quitte pas son lit à ta honte
pour la jeter aux mains des huissiers de justice
comme à Rome dit Naso        pays de chicane
et de luxure        tel de ses amis écorniflé
or passe un palanquin où son amie paresse
ses mots se hérissent        terribles menaces
il veut la traîner au palais        sors dit-il
           de ta litière        elle sort il la voit
dans son âme éperdue un trouble s’élève
ses yeux se voilent il ne peut plus parler
ses mains tombent        et les doubles tablettes
                      du procès        et il choit
défaillant à ses pieds        devant tous…


Des spectacles

Pas de théâtre        ce qui sait nous blesser
comme on l’y montre avec art comme
on la voit sous un visage feint        sa vive
allure        sa voix dans la gorge étrangère
qui point et fait jaillir les larmes        redoute
           plus que tout        si vous a séparés
un devoir tyrannique et non la trahison
           les remords du Partage de Midi
et les mots déchirants de Doña Prouhèze
oui oui…        la scène de ce drame
                      est ton cœur        oui je crois
qu’il a été créé pour moi…        deux amants
séparés par plus que l’océan        Ni musique
elle affaiblit l’âme        hautbois guitares
                      flûtes de micocoulier       
qui versent dans l’oreille un miel plus amer
que le suc de l’absinthe        ni sur les planches
ces jeunes corps demi-nus qui se meuvent
en cadence        mimant impudemment
les amants enfiévrés…


De la table

Un jour enfin tu te crois sauvé        gare
à la rechute        pas d’oignon surtout
           je  le dis non par métaphore mais
en médecin        chasse aussi de ton ordinaire
gingembre épices        café        funestes
au corps frustré des plaisirs de l’amour
mais non la grande rue des jardins Ruta
graveolens L.        qui rend la vue meilleure
je veux dire de l’esprit         ou la belladone
qui goulûment est poison        comme l’amour
           et chichement remède         quant aux dons
de la cave        il y faudrait un long traité
bannis surtout les vins de lave        un sang noir
qui échauffe la chair et met en mouvement
                      tous les fluides cachés        sinon
à suffoquer l’âme en grandes libations
et étouffer l’amour sous l’excès        à présent
           j’en ai fini        rendez-moi grâces
amants affligés si je vous ai guéris        moi
qui ne sais pas me consoler


Entretiens

Terre à Ciel (avril 2024)

« – Vous portez un grand intérêt à « la poésie latine ». Quelle place peut-elle – encore – trouver dans l’écriture d’aujourd’hui ?
– Mon intérêt pour la poésie latine est tardif. [...] Le latin est pour moi une conquête solitaire. Ce qui frappe, ce qui subjugue même dans la poésie latine, c’est son extrême liberté syntaxique. Elle contraste avec la rigidité de la phrase française, dénuée de déclinaisons, qui impose aux mots un ordre assez strict. Certains poètes contemporains (Jude Stéfan par exemple) ont tenté de desserrer cette contrainte, d’instiller dans notre langue la liberté qu’on admire chez Virgile, Horace ou Ovide... »
      Entretien d'Ornel Colomb avec Clara Régy (Terre à Ciel - Avril 2024)

 

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