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Le perroquet aztèque

Du franglais au volapük

ou

Le perroquet aztèque

(Obsidiane, oct. 2019)

La pyramide aztèque

Perroquet
On aurait trouvé
dans une tombe...


« Jamais notre langue n’a été aussi malmenée et jamais à ce point mal aimée. Quand elle n'est pas dénigrée pour des motifs où elle sert de bouc émissaire à d’autres combats (la lutte contre le sexisme, par exemple), elle est trahie au profit de l’anglais, qui se voit paré de toutes les vertus. Les amoureux du français font face à une coalition vaste et hétéroclite qui emprunte à toutes les couches de la société, des jeunes gens des banlieues en déshérence économique et culturelle, qui chantent en anglais pour échapper à leur condition et se fondre dans une Amérique fantasmée, jusqu’à l’élite économique, scientifique et politique de notre pays, de tous temps férue de jargon, qui larde aujourd’hui ses discours de mots immigrés, par paresse ou pour paraître. »

Un premier état de ce livre d'humeur contre l'invasion du globish, La langue est un combat (ou De la servitude volontaire...), a été publié dans la Guillotine de la 23e Secousse.

Un article sur le même sujet, Ce brave nouveau monde, a été publié dans le n°403 de la revue La Pensée (été 2020).


Extraits

Aux colonies

Ouvrons la radio. « La Paris Fashion Week s'est achevée hier après 83 shows. » Je m'insurge. Nous voici aux colonies. Rien n’est bon qui ne soit truffé d’anglais. Le temps de noter pour mon placet, la rubrique a changé. Aucune qui dépasse la minute : l’auditeur est incapable d’une attention plus longue.

Page des sports. Même en changeant précipitamment de station à ce mot, on a le temps de s’effarer. Aucune discipline sans un faux-nez anglais : Champions League, top 14, skipper, indoor, pole position… Ne disait-on pas autrefois : ligue des champions, championnat de France, capitaine, en salle, première ligne ? (...)

Il ne restera bientôt plus que les amateurs de pétanque pour s’exprimer en français. À moins que, soucieux de donner à la discipline une extension mondiale (pourquoi pas ? on trouve déjà dans les souterrains du métro de Stockholm une aire privée dédiée à ce jeu où de grands Vikings choquent leurs boules, les pieds tanqués sur l’arène artificielle, avant de pointer ou de tirer au milieu des chansons provençales et des trilles des galoubets, tandis qu’accoudées au bar, élégamment coiffées d’un canotier, leurs compagnes sirotent un pastis), à moins, donc, qu’un coach avant-gardiste, en vue d’en faire un sport olympique – suprême consécration –, ne décide de passer brusquement de Pagnol à Peter Mayle en épiçant d’anglais la communication de la Fédération Française de Pétanque et de Jeu Provençal. Et l’on verra alors, sur les esplanades du Midi, des petits vieux en espadrilles et panama s’apostropher sous les platanes dans une langue qu’on ne comprendra plus : « Hey, fool ! Tu shootes ou tu rolles ? Hiiiiit ! ils vont la kisser, la Meetoo ! »1.

1 Traduction : « Hé con ! Tu tires ou tu pointes ? Touchééééé ! Ils vont l’embrasser, la Fanny ! ».

Si français…


La plupart des boutiques féminines se parent aujourd’hui d’un nom saxonné. Le hasard, qui m’a conduit à Trouville (ses planches, sa plage aux parasols, ses Roches Noires), me jette sous les yeux un exemple frappant. Il suffit de passer le pont : une longue série de fringueries s’aligne de part et d’autre de la rue Désiré Le Hoc à Deauville. Voici les enseignes côté pair – je les reporte scrupuleusement, en n’omettant qu’une banque et une agence immobilière :

SUGAR – HOP’S – SO YUMMY, SO FRENCH (si, si…) – RIVER WOODS, NORTH-EASTERN SUPPLIERS – NOT SHY – KAPRIKA – ONE STEP – CASHMERE MARKET OUTLET – MICHA – STEPH FIVE – LOLLIPOPS.

C’est le côté exposé au sud. Le soleil, quoique souvent pâle sous ces climats, porte-t-il à la tête des marchandes enfermées tout le jour dans leur serre ? En attendant le chaland (oh qui dira l’ennui qui prend le commerçant derrière ses vitrines?), rêvent-elles du ciel gris de l’Angleterre, un doigt entre les pages d’un Assimil ? Revenons sur nos pas et voyons en face, côté impair – je n’omets qu’un glacier et un chocolatier :

IKKS – GALLERY 71 – GAB – BOU (une lettriste ?) – SUD*EXPRESS – Berenice (sans accents) – RITUALS – JACQUOT CHAUSSEUR (un attardé) – IKKS MEN – CATHERINE FABRE (devant l’ego, même l’anglais capitule) – LBC – HAPPY FEET – HOP’S – BEL AIR (une originale) – JONAK.

C’est un peu mieux, mon hypothèse climatique n’est peut-être pas sans fondement, mais cela reste impressionnant. On me dit que c’est normal, que Deauville est une destination très prisée des Anglais. Que cette explication me plaît ! Figurons-nous un couple passant la Manche pour une escapade en Europe et qui, ayant entendu louer la cité normande (ses planches, ses bains pompéiens, sa Villa Strassburger), s’y rend aussitôt. Les voilà qui déambulent dans les rues, dans le petit soleil d’Auge, l’homme lorgnant les jeunes filles court-vêtues qui reviennent de la plage, son épouse écumant les vitrines du coin de l’œil. Ils ont fui leur île pour se distraire du quotidien et flatter le sentiment d’exotisme attaché à tout pays étranger, même quand on le connaît bien : et les voilà assaillis par ces enseignes qu’ils pourraient lire à Chelsea ou dans les rues de Bath...

Rien de neuf, certes.

À Paris les fourreurs écrivent en anglais
                 Selon d’anciennes mœurs
Le mot furs que la rime enseigne s’il vous plaît
                 À mieux prononcer FURS1.

1 Louis Aragon, Le roman inachevé, Poésie/gallimard, p.220.


D’outre-tombe


On sait depuis l’anecdote de la grive d’Agrippine1 que certains oiseaux peuvent prononcer les langues humaines. Dans l’Austerlitz de Sebald, le narrateur fait ce rêve étrange :

Un concierge du nom de Bartoloměj Smečka, qui portait sous une vieille redingote fripée de l’armée impériale un gilet de fantaisie à fleurs barré d’une chaîne de montre en or, émergeait d’une sorte de cachot en sous-sol et, après avoir étudié le papier que je lui tendais, haussait les épaules en signe de regret et me disait que la tribu des Aztèques était hélas éteinte depuis de nombreuses années, qu’au mieux survivait encore ici et là un vieux perroquet comprenant encore quelques mots de leur langue.2

On reconnaît, surgi du fond du sommeil et accoutré à la Habsbourg, le souvenir d’un célèbre passage des Mémoires d’outre-tombe3  – à moins que Sebald ne se souvienne des perroquets de l’île tropicale qui, depuis deux siècles et demi, répètent les jurons de François de Hadoque… Il me semble parfois être ce Bartolomé : reclus dans mon cachot (ma bibliothèque), engoncé dans un habit chamarré d’un autre temps (la littérature française), parlant pour moi seul un idiome désuet qui fut celui de Montaigne, de Racine, de Diderot, de Hugo, de Claude Simon. Dans un siècle, peut-être, seule une bande de corbeaux nichant dans les combles d’un théâtre désaffecté, conservé par nostalgie d’une époque désormais aussi étrangère que l’empire romain et le Monomotapa, parlera encore des bribes d’une langue qu’ils se seront transmise de génération en génération, jusqu’à ce que lassé de leurs criailleries un voisin irascible les disperse à coups de fusil et que le français meure avec les derniers êtres vivants qui le parlaient encore. Et c’en sera fini de notre langue, reléguée dans la pénombre des bibliothèques, au rayon des langues mortes, entre le sanscrit et le latin, au milieu de beaucoup d’autres qui vivent encore et auront subi le même destin, ne faisant le plaisir que de rares érudits : « Ariane ma sœur de quel amour blessée… ». Et de l’extraordinaire Babel de notre monde, de ce foisonnement de voyelles, de tons, de coups de glotte, de soupirs, de claquements de langue, ne resteront qu’une poignée de langages universels, tous atrocement contaminés par un anglais que Keats et Shelley ne reconnaîtraient pas.

…J’éprouve une véritable souffrance à l’idée qu’une langue articulée par les humains puisse un jour disparaître…

…toutes les langues sont menacées.4

1 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, livre X, chap. LIX, trad. Stéphane Schmitt, La Pléiade, p. 493.
2 W. G. Sebald, Austerlitz, trad. P. Charbonneau, Babel/Actes Sud, p.177.
3 Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, livre VII, chap. 10, La Pléiade, t. I, p. 250.
4 Paul Louis Rossi, Les Variations légendaires, Flammarion, 2012, p. 60.


Entretiens

« Utiliser un mot anglais au lieu d’un mot français n’est pas innocent. Tzara disait que « la pensée se fait dans la bouche ». Avec l’anglais, c’est une vision du monde, un système de valeurs, un corps de références et d’images - une culture - qui s’imposent peu à peu à nous. Refuser l’anglicisation à marche forcée, ce n’est pas seulement défendre le français, c’est aussi défendre notre culture et notre autonomie de pensée, donc notre avenir. ».      Entretien avec Clément Balta (Le français dans le monde - mars 2020)

 

Critiques

[Sur Le Perroquet aztèque et sur De quel amour blessée d'Alain Borer] ...« Gavage à l’anglais», « grand décervelage » par étouffement des autres pensées, écocrime de civilisation. Ils dénoncent surtout le renoncement, le désamour, parfois la honte, le simple « délaissement » par snobisme, fatigue séculaire, menant à la « servitude volontaire », de trop de nos élites, media, milieux divers...     Albert Salon (Avenir de la Langue Française - 10 sept. 2020)

 

...Parlez-vous franglais ?  questionnait René Etiemble en 1964. Comme le mal n’a fait que perdurer et s’accroître depuis plus de cinquante ans, Gérard Cartier a publié l’an dernier aux éditions Obsidiane Du franglais au volapük ou Le perroquet aztèque. Il s’agit encore d’un pamphlet, à la fois fort instructif et désespérant, contre le snobisme imbécile qui consiste à farcir notre langue d’anglicismes inutiles doublonnant avec des mots français...     Jean Stouff (Biblioweb - 24 avril 2020)

 

...un vif opus vient de paraître qui nous remonte franchement le moral. Plus de cinquante ans après la parution de l'ouvrage [d']Etiemble (...) notre désamour pour la langue, reçue en héritage des écrivains qui ont su l'enrichir et l'illustrer, vient d'inspirer un émule (...) qui, ulcéré par l'abâtardissement du français et de l'appauvrissement de notre imaginaire, constate que « ce qui fait rêver, ce qui accroît le sens a disparu »...     Philippe de Saint Robert (Espoir n°196 - hiver 2019-2020)

 

...j'ai lu, avec un énorme plaisir, ce livre. (...) J'aimerais que la première édition de ce livre vif, précis, pugnace, riche en références poétiques, soit vite épuisé et qu'un nouveau tirage soit présent dans la cité, pour que nous répondions à l'invitation de son auteur lorsqu'il conclut : « Réagissons avant qu'on ne nous force à miauler en anglais. La partie peut sembler perdue, mais il n'y a pas de fatalité. La langue est un combat ».     Alain Lance (Europe n° 1092 - avril 2020)

 

...Gérard Cartier (...) nous livre un petit ouvrage ciselé qui se lirait de bout en bout avec délice s'il ne nous révélait notre turpitude de locuteur de la langue française. (...) Pour nous faire réagir, l'auteur nous prédit un avenir où seul le perroquet aztèque fera entendre un français que plus personne ne parlera. On referme cependant l'ouvrage avec la ferme conviction que la restauration de notre langue, ce patrimoine linguistique en péril, est à portée de nos lèvres et de nos mains.     Philippe de Saint Robert (Service Littéraire - mars 2020)

 

...ce petit livre, écrit avec clarté, précision et vigueur, animé par une saine indignation, est d'une lecture salutaire. Après une entrée en matière qui s'ouvre en fanfare comme le célèbre Manifeste de 1848, dans laquelle Gérard Cartier rappelle le péril qui menace actuellement la langue française et justifie sa volonté et son droit, bien que non spécialiste, de participer à sa défense, il dresse en neuf chapitres un tableau convaincant de la situation. (...) Le grand mérite de ce livre qui s'appuie sur de nombreuses références et citations, c'est, par la rigueur de la démonstration de transformer l'expérience immédiate et fragmentée en une vision synthétique cohérente. (...) Le tableau est sombre et pourrait sembler désespérant. Mais avec son livre tonique, Gérard Cartier invite utilement à résister. La guerre n'est pas perdue.     Jean Guégan (Poezibao - 15 janv. 2020)

 

...« Un spectre hante notre pays : celui de l’abâtardissement du français et, à terme, de sa possible extinction »… C’est par ces mots (qui évoquent le début d’un célèbre Manifeste) que le poète Gérard Cartier commence son placet. Il y décrit avec brio la moderne « servitude volontaire » qui consiste à se soumettre au tout-anglais et qui menace le français de dégénérer en shiak. (...) Quant au « perroquet aztèque », pour savoir ce qu’il vient faire là, il suffit de le lire…      Patricia Latour & Francis Combes (L'Humanité - 9 janv. 2020)

 

Malgré la loi Toubon qui impose l'usage du français dans l'administration, « l'anglais envahit la sphère publique ». L'exemple vient d'en-haut. Pour Macron, « la démocratie est le système le plus bottom up de la terre ». (...) Pourtant, entre francophones, on peut toujours s'exprimer sans recourir à des mots importés. Ingénieur, l'auteur se souvient que, bâtissant la liaison ferroviaire Lyon-Turin, « les deux parties s'exprimaient chacun dans sa langue ». Ce qui ne semble pas avoir nui au parallélisme des voies.      F. P. (Le Canard enchaîné - 18 déc. 2019)

 
Iresuthe n°46

...Une critique étayée et affûtée du Globiche invasif caractéristique de notre vie sociale, culturelle et économique. (...) Aujourd’hui, la situation n’a fait qu’empirer de façon ahurissante. Ce qui, d’autant plus, rend le nouveau « placet invectif » de Gérard Cartier cruellement et crucialement nécessaire. (...) Il illustre de plus avec panache l’esprit français (si cela peut se définir) dont on mesure ici à quel point il est consubstantiel à la langue qui le véhicule. Ce faisant il fait ressortir les ridicules de notre époque. Il fait œuvre, avec cet appel, de salubrité, de salut public.      Jean-Claude-Vallejo (L'Irsesuthe n°46 - déc. 2019)

 

Merci, Gérard Cartier, pour votre pamphlet salubre. J’imagine, de centres commerciaux en écrans, de télévision et d’ordinateur, de magazines féminins en étouffante presse d’information, l’épreuve dans votre chair que fut cette enquête, impitoyablement documentée (...) il fallait, bientôt cinq siècles après la Pléiade, toute la sensibilité d’un poète pour dresser cet implacable réquisitoire.      Christophe Stolowicki (Sitaudis - déc. 2019)

 

DES EFFETS MONSTRUEUX DE LA GLOBISHISATION. POURQUOI IL NOUS FAUT IMPÉRATIVEMENT LIRE LE DERNIER LIVRE DE GÉRARD CARTIER ! (...) Plus une langue est forte, riche, plus la part de réalité qu’elle nous permet d’entrevoir est précise et profonde. Plus la langue s’appauvrit, plus le filet de son vocabulaire, les mailles de sa structure se distendent, plus large devient la part de monde qui fuit hors de notre conscience. Échappe à notre sensibilité. (...) C’est pourquoi nous pensons important d’offrir à la réflexion de ceux qui nous liront, ces pages essentielles du dernier livre de Gérard Cartier, Du franglais au volapük, dont nous avons précédemment rendu compte, en espérant en voir le plus possible partagés, l’inquiétude et le désir de résistance.      Extrait       Georges Guillain (Les Découvreurs - nov. 2019)

 

Il ne manque pas aujourd’hui de livres, encore moins d’auteurs, pour déplorer cette invasion de notre langue par un anglais de pacotille et en dénoncer les ravageurs effets. Le livre de Gérard Cartier Du Franglais au volapük ou Le Perroquet Aztèque, (...)  joue quant à lui son rôle à merveille qui est – outre le fait de procurer à son auteur l’occasion de se « décharger, comme il se doit, de la bile accumulée après une longue fréquentation de la presse et des radios » – de dresser un tableau d’ensemble varié de l’état de décomposition avancé dans lequel se trouve aujourd’hui notre langue, quelle que soit la catégorie sociale ou professionnelle dans laquelle elle se voit aussi bien écrite que parlée.       Georges Guillain (Les Découvreurs - nov. 2019)

 

[Sur un extrait publié dans Les Écrits n°154] ...comme une parenthèse, inquiète, un peu pessimiste à vrai dire, on lit un bref essai, un morceau choisi d’un ensemble plus vaste à paraître, de Gérard Cartier sur l’amenuisement des langues : « Le Perroquet Aztèque ». On y croise Sebald et des élèves bretons, Hildegarde de Bingen et le Capitaine François de Hadoque. Le constat n’est guère optimiste mais la langue dans laquelle il s’exprime possède quelque fantaisie et lyrisme qui le contredit un peu (...) On ne sait si on se laissera emporter par la diatribe brillante, gagner par l’inquiétude tempétueuse de Cartier, par son angoisse à être condamné à « miauler en anglais »...       Hugo Pradelle (Ent'revues - avril. 2019)

 

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